Pas de grandes femmes parmi les grands Hommes ?

Temple des valeurs républicaines, le Panthéon est le lieu de mémoire par excellence, dans lequel reposent les « grands Hommes » qui ont marqué l’Histoire de France. Les grands Hommes, ou plutôt les grands hommes, tant le nombre de femmes y est dérisoire. L’égalité n’est-elle pas une des valeurs souveraines de la République, qui mériterait autant que les autres, d’être un des fondements de la panthéonisation? Il semble visiblement que l’égalité sexuelle n’en soit pas une, car avec 5 femmes pour 74 hommes, le Panthéon en est très loin. Les femmes n’ont-elles pas, elles aussi, participé à l’Histoire de France ? Que faisaient 50% de la population pendant que ces messieurs écrivaient l’Histoire ? En effet, la quasi-absence de femmes au Panthéon invisibilise une fois de plus le combat des femmes et renvoie un message : en France, l’Histoire s’accorde au masculin.

Longtemps cantonnées aux rôles de mère et de ménagère, les femmes ont été, longtemps, exclues de la sphère publique, rien d’étonnant alors, à ce qu’aucune d’elles n’ait été panthéonisée (on rappelle qu’une panthéonisation ne peut être décidée que par le Président de la République, et est-ce vraiment la peine de préciser qu’eux-mêmes, ont tous été des hommes ?). D’ailleurs, la première femme à être entrée au Panthéon est Sophie Berthelot, en 1907. Elle n’y rentre cependant qu’en qualité « d’épouse de » de Marcellin Berthelot, chimiste et homme politique, afin de respecter le vœu des époux d’être enterrés ensemble. C’était probablement à l’époque le seul statut socialement acceptable pour qu’une femme soit reconnue. On pourrait penser que sa présence poserait la première pierre pour faire entrer d’autres femmes dans ce lieu de mémoire.


Pourtant, il faudra attendre 1995 pour qu’une deuxième femme entre au Panthéon pour ses propres mérites avec la panthéonisation de Marie Curie. Cette scientifique aux deux prix Nobel incarne le génie scientifique, et par cet hommage, ce sont toutes les femmes de la recherche qui sont remerciées. Il y a consensus autour de celle qu’on peut qualifier comme la scientifique la plus célèbre du monde, et on voit mal comment le département scientifique de la crypte aurait pu être crédible sans elle.
Il faudra attendre encore 20 ans pour que le club très fermé -le duo à ce stade- des femmes panthéonisées accueille de nouveaux membres avec en 2015 l’arrivée de deux résistantes : Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz. Survivantes des camps de concentration, elles sont aussi les premières Françaises à recevoir la Légion d’honneur.

Simone Veil est la 5e et dernière femme du Panthéon. Personnage apprécié du grand public, une pétition est lancée au lendemain de sa mort pour la faire entrer au Panthéon, et en 2018, elle et son mari sont panthéonisés, respectant ainsi leur souhait de ne pas être séparés. Rescapée de la Shoah, elle devient est devenue une figure de proue du féminisme avec la loi de dépénalisation de l’avortement qu’elle fait passer en 1975. Elle devient la première femme Présidente du Parlement européen, et sera également membre de l’Académie française. Son entrée au Panthéon est saluée par le public, et avec elle, c’est l’idéologie féministe qui se fait une place dans le lieu emblématique des valeurs de la République. Il était temps, puisque, de tous les combats humanistes salués par la présence de leurs combattants illustres (la lutte contre le travail des enfants avec Victor Hugo, la tolérance religieuse prônée par Voltaire), le féminisme et l’égalité des sexes étaient aux abonnés absents.


Sa panthéonisation soulève une vague d’espoir quant aux autres figures du féminisme qui pourraient, elles aussi, faire leur entrée au Panthéon. Ainsi, à sa mort en 2020, il a été proposé de faire entrer Gisèle Halimi parmi les « grands Hommes ». Finalement, le gouvernement préfèrera lui offrir des funérailles nationales aux Invalides. Si l’hommage est bien là, il est bref, contrairement à un caveau dans la crypte du Panthéon, bien plus pérenne. Ce choix politique, le gouvernement l’explique par sa personnalité « controversée ». Pourtant, Gisèle Halimi, avocate de renommée, s’est illustrée par son combat féministe et anticolonialiste. Elle défend Djamila Boupacha, une militante du Front de libération nationale algérien, torturée et violée par des militaires de l’armée française, dans un procès très médiatisé. Par là, elle dénonce les crimes de l’armée française en Algérie. Lors du procès d’Aix-en-Provence, Gisèle Halimi obtient la condamnation de trois hommes pour viols en défendant leurs deux victimes, posant la première étape qui mènera à la criminalisation du viol en France.

Avec le procès Bobigny, où elle défend une jeune fille ayant avorté, elle montre son engagement pour la dépénalisation de l’avortement. Militante féministe et femme de lettres, son parcours exemplaire est de ceux qui méritent d’être commémorés, mais son combat pour l’indépendance de l’Algérie a déplu à des politiques et à une France qui n’arrivent pas, encore, à regarder leur passé dans les yeux. Le Panthéon devrait bientôt accueillir une nouvelle membre puisque le 30 novembre prochain, la chanteuse, danseuse, mais aussi espionne et résistante Joséphine Baker sera panthéonisée. Ce jour sera marquée de premières fois puisque ce sera la première femme à entrer seule (comprendre, sans homme) au Panthéon, mais ce sera aussi la première femme noire à être ainsi commémorée. Son talent artistique et sa lutte contre le racisme la placent parmi les figures illustres de la Patrie, et on ne peut que saluer la décision de la faire entrer au Panthéon, en espérant que celle-ci soit suivie d’une féminisation des panthéonisations.


Si l’on peut discuter de l’intérêt d’un édifice tel que le Panthéon, le besoin de rassembler la nation autour de grandes figures s’étant illustrées dans leurs combats et leurs idées, est légitime. Cependant, encore trop souvent, on constate un double standard flagrant, comme le montre l’exemple de Gisèle Halimi : aucun souci pour accueillir la dépouille d’hommes ayant fait fortune grâce à l’esclavage (on salue ici ce cher Voltaire), alors que commémorer une femme s’étant battue pour dénoncer la colonisation et les exactions de l’armée française ne va visiblement pas de soi. Ainsi, difficile de nier que les grands modèles que la patrie a choisis sont en écrasante majorité des individus masculins, blancs et hétérosexuels… à l’image de ceux qui décident, mais pas à celle de la population.

Références :